En janvier 1989 avant de prononcer son discours devant le Parlement européen, le Président de la Commission européenne, M. Jacques Delors, s’est adressé d’abord à un ensemble d’auditeurs inouï : des répresentants de l’O.L.P. assis aux côtés de ceux d’Israël. Il a salué en eux “un symbole qui nous remplit d’espoir.”
Ce sont cependant les peuples du Proche-Orient qui, las de la guerre se tournent vers nous pour que, nous-mêmes, nous les remplissions d’espoir. Et c’est précisément l’exemple de notre Communauté qui, ayant conjuré les démons de la guerre par la réconciliation et apporté la paix et la securité au Vieux Continent depuis des siècles déchiré par des conflits sanglants, leur offre ce symbole d’espoir. …
À côté d’un représentant de l’O.L.P., siégeait M. André Chouraqui. Ce traducteur de la Bible et du Koran, maire-adjoint de Jérusalem, était également président d’un groupement israélien qui réclame, dans l’intérêt de la paix, une confédération des Etats du Mashrek étroitement liée sur les plans économique et politique à la Communauté européenne.
La possibilité existe pour les Européens, les Israéliens et les Arabes de coordonner leurs efforts pour ramener la paix au Proche-Orient. La paix y est réalisable si les acteurs principaux ont le courage d’agir lá où il existe déjà une identité d’intérêts pratiques. Cette approche a servi, en mai 1950, à plusieurs pays européens á amener une rupture totale avec leur histoire ensanglantée par des guerres meurtrières.
“La paix mondiale ne peut être sauvegardée que par des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent.” C’est ainsi qu’a débuté la fameuse déclaration du Ministre des Affaires étrangères Robert Schuman, dans laquelle il a exposé un système supranational de justice et d’impartialité tout à fait original en relations internationales, et dont l’issue fut la Communauté européenne.
Quelles furent les bases de cette nouvelle “méthode” dont l’Europe fit la première expérience? En soumettant à une autorité supra-nationale leur production des matières premières de la guerre - le charbon et l’acier -, la France et l’Allemagne ont rendu impossible toute guerre future et ont ainsi jeté les bases de la sécurité mutuelle. Cette démarche psychologique a permis la création du Marché commun et le développement de l’esprit européen.
Pour affronter leurs problêmes actuels, Israël et ses voisins arabes ont besoin autant de lucidité que de courage. Ces problèmes ne peuvent nous laisser indifférents. Un conflit éventuel au Proche-Orient risquerait de nous entrainer, nous autres Européens, vers l’abime.
Les Etats du Mashrek - Israël, Jordanie, Egypte et ses voisins, ainsi qu’un État palestinien nouveau - pourraient aujourd’hui en faire autant. La source de leur co-opération mutuelle serait, non pas le charbon ou l’acier, mais l’eau. Au Proche-Orient, l’eau, c’est la vie.
Voilà ce qui est beaucoup plus que symbolique...
Depuis un demi-siècle déjà, on s’acharne à élaborer des projets visant une utilisation plus rationnelle de cette précieuse ressource du bassin du Jourdain. En 1955, par exemple, le plan des Nations Unies Johnston s’est fort peu soucié des frontières politiques; il s’est préoccupé surtout d’atteindre une utilisation optimale de l’eau du Jourdain dans l’intérêt de tous.
Mais l’ultime but au travers de ses propositions fut de faciliter le rapatriement de milliers de réfugiés.
Sur le plan technique, ces projets visaient à retenir et à aménager la précieuse inondation hivernale des transferts transnationaux de cette eau douce, suivant des besoins saisonniers, auraient pu être organisés. Au surplus, l’eau de la mer Méditerranée devait être introduite dans la mer Morte, afin d’y compenser des pertes dues à l’évaporation et tout en y générant des quantités énormes d’électricité.
En effet, en 1956, Israël et ses voisins arabes tombèrent d’accord sur les aspects techniques des propositions Johnston.
Les hommes politiques d’alors ont refusé de s’engager dans un tel projet d’ensemble qui, au-delà de ses aspects pratiques, fut foncièrement politique. Des pays ennemis auraient du enterrer leur hostilité séculaire et s’engagent à vivre ensemble à fin de faire fleurir le désert. Ils n’ont pas pu s’y résoudre. Au lieu de cela, des guerres ont éclaté à peu près tous les dix ans.
Emboîtant le pas a la C.E.C.A., une Communauté au Proche-Orient créerait les moyens pour la reconnaissance mutuelle des Etats voisins et assurerait la nécessité pour les peuples de vivre ensemble en paix. D’une part et, en se basant sur des principes impartiaux décidés en commun, en soumettant l’exploitation de leurs ressources à une Haute Autorité de l’Eau, les Etats de la région élimineraient gaspillages et pertes. La Haute Autorité organiserait, par exemple, des travaux de dessalement des eaux et réaliserait des projets agricoles communs. De part et d’autre du bassin du Jourdain, les habitants bénéficieraient de ces innovations technologiques.
D’autre part, ces développements dans le domaine technique faciliteraient le rapatriement de milliers de réfugiés. Ainsi, le génie créateurs des peuples de la Région serait libéré pour se consacrer pleinement aux oeuvres de paix et de prospérité. Une libre circulation et un libre établissement des ressortissants des Etats membres pourraient progressivement se réaliser dans l’équilibre tant pour les populations que pour les économies.
La Méditerranée constitue effectivement un trait d’union entre les pays du Mashrek et la Communauté européenne. Grâce aux pouvoirs octroyés par les Traités, il est tout à fait logique que la Commission de la Communauté européenne doive travailler avec tous ses moyens pour créer dans cette région une communauté soeur vouée, elle aussi, à la recherche de la paix,
Cette mise en commun d’intérèts conduirait non seulement au bien-être des peuples de cette région mais serait en mesure de provoquer de nouvelles actions en faveur de la paix mondiale.
DAVID PRICE. © 1989, (article publié au Soir, Bruxelles, le 17/02/89) © 2005.
Quelles institutions?
Une Communauté supranationale
Une fédération ou communauté supranationale?