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Robert Schuman
Discours à l’ouverture de
la conférence intergouvernementale sur le PLAN
SCHUMAN, Salon de l’Horloge, Quai d’Orsay,
le 20 juin 1950
Six
semaines, jour pour jour, se sont à peine écoulées
depuis que, dans cette même salle chargée de
souvenirs historiques, le Gouvernement français a
fait connaître son plan. Six semaines, délai bien
bref quand
il s’agit d’un objet aussi nouveau et aussi vaste
que la mise en commun de la production houillère
et sidérurgique de nos six pays, bien bref quand
on songe aux lenteurs habituelles des transactions
internationales.
On
a reproché à la France cette précipitation, on a
parlé de tactique rapide et brutale : c’est
précisément l’expérience qui nous a montré que les
meilleures initiatives s’émoussent lorsque, avant
de naître, elles s’attardent dans les
consultations préalables.
Dans
un monde angoissé
par tant d’échecs et d’impuissance, je pense que
nous avions le droit, le devoir même, de compter
sur la force d’une idée, de tirer profit de l’élan
que lui donnent l’espoir suscité
par elle et l’adhésion instinctive de nos
populations.
Nous
voici à pied d’œuvre ; c’est à vous,
Messieurs, que nos six gouvernements ont confiés
la tâche de justifier cet espoir. Il s’agit
d’exprimer dans des textes souples et clairs, en
vue de préparer des engagements précis, les
principes qui ont déterminé le choix de nos
objectifs et qui constituent les bases de nos
délibérations. Il y a accord entre nous sur
l’orientation de nos travaux, sur le but que nous
voulons atteindre ; nos gouvernements ont
accepté de rechercher en commun, par une libre
confrontation des vues et des situations
particulières, la meilleure façon d’appliquer les
principes que nous avons admis, par la création
d’institutions nouvelles, sans précédents dans le
monde actuel.
Grande
tâche, Messieurs, que la confiance de nos
gouvernements nous a attribuée. Nous
l’entreprenons avec fierté et conscients de notre
responsabilité. Nous sentons qu’il ne nous est pas
permis d’échouer, d’abandonner sans conclure. Nos
conclusions d’ailleurs, vous le savez, seront
soumises à l’appréciation des gouvernements et à
la décision souveraine de nos parlements.
Personne
d’entre nous ne se dissimule les difficultés
exceptionnelles de notre entreprise.
Certes,
nous disposons les uns et les autres de
volumineuses statistiques ; nous mettrons à
profit les études impartiales qui ont été
antérieurement entreprises sur le plan national,
comme par des organismes internationaux. Mais
jamais système semblable à celui que nous
préconisons n’a été expérimente en fait. Jamais
les États n’ont confié,
ni même envisagé
de déléguer en commun une fraction de leur
souveraineté à un organisme
supranational indépendant.
Nous
aurons à établir un projet de traité qui définira,
dans leurs grandes lignes, les attributions de
cette autorité commune, son fonctionnement, les
moyens de recourir contre ses décisions et de
mettre en jeu ses responsabilités. Nous aurons à
entrevoir, sans les inscrire cependant dans le
traité, les détails techniques qui referont
l’objet de conventions à conclure ultérieurement,
après la ratification du traité. Ces conventions
devront être faciles à réviser, pour pouvoir
s’adapter aux leçons de l’expérience.
Les
conclusions auxquelles nous aboutirons seront le
fruit de nos discussions. Vous y apporterez chacun
votre part de suggestions et de critiques. Nous
aurons en commun notre volonté d’aboutir, de faire
œuvre constructive sur la base des principes
définis. Nous serons animés d’une hardiesse
novatrice qui est trop souvent absente de nos
institutions internationales.
Sans
perdre de vue les nécessites particulières de nos
pays, nous devons être conscients que l’intérêt
national consiste de nos jours précisément à
trouver au-delà des limites nationales les moyens
de réaliser une structure économique plus
rationnelle, une production plus économique et
plus intensive, un marché plus vaste et mieux
accessible. Nos négociations seront mieux et plus
que des marchandages étroitement égoïstes qui se
refusent à la fois au risque et à la confiance.
Notre
initiative n’entend nullement ignorer ni
méconnaître les tentatives qui sont faites par
ailleurs en vue d’assainir l’économie européenne.
Mon collègue, M. Stikker, y a apporté récemment
une contribution importante et féconde ; elle
se situe sur un autre plan que le nôtre, il n’y a
entre nos deux objectifs ni double emploi, ni
contradiction.
Ce
qui caractérise au surplus la proposition
française, c’est qu’à cote de sa portée économique
susceptible de développements qu’à l’heure
actuelle on ne peut que deviner, elle a eu et
conserve une valeur politique qui dès la première
heure a, avant autre considération, frappé
l’opinion dans les divers pays.
Nous
voulons substituer aux pratiques anciennes de
dumping et de discriminations une coopération
éclairée, c’est l’essentiel. Mais ce qui importe
au moins autant, ce qui des l’origine s’est
inscrit en exergue du plan, c’est notre volonté
d’associer à une commune et permanente œuvre de
paix deux nations qui durant des siècles se sont
opposées dans des compétitions sanglantes, cause
latente de trouble, de méfiance et d’angoisse,
c’est l’espoir d’asseoir sur cette coopération
pacificatrice un édifice européen solide,
accessible à toutes les nations de bonne volonté.
Nous
aurions vivement désire que l’Angleterre fût
pressente à nos débats. Nous ne pouvons concevoir
l’Europe sans elle. Nous savons, et ceci nous
rassure, que le Gouvernement britannique désire la
réussite de nos travaux. Certaines divergences de
vues qui l’ont empêché d’y participer activement,
au stade actuel du moins, ont apparu au cours
d’explications aussi franches qu’amicales. Nous
gardons l’espoir que les doute et les scrupules
qu’un raisonnement plutôt doctrinal n’a su
vaincre, finiront par céder devant les
démonstrations plus concrètes.
Le
Gouvernement français agira certainement en
conformité des préoccupations qui animent tous les
gouvernements participants lorsqu’il tiendra le
Gouvernement britannique informe de l’évolution de
nos délibérations et lui assurera ainsi la
possibilité sinon de venir se joindre à nous, ce
que nous persistons à souhaiter, du moins de nous
faire parvenir toutes observations utiles, ce qui
prépara la voie à une coopération future.
Quant
à nous, nous allons commencer le travail qui nous
est ainsi assigné. Nous aurons d’abord à adopter
une méthode de travail. Il s’agira d’un travail
d’équipe, non d’une conférence avec ses règlements
méticuleux et rigides. Nous aurons avant tout le
souci d’être efficaces, le brillant de l’éloquence
ne nous tentera pas.
Une
séance d’information nous permettra demain de
fixer nos idées à cet égard. Elles se préciseront
au cours des contacts personnels que nous aurons
le souci d’établir et de maintenir.
Le
fond des problèmes y sera abordé
en même temps ; on ne peut séparer l’un et
l’autre.
Nous
mettrons en commun nos idées, nous les
confronterons, nous ferons un choix entre elles.
Le Gouvernement français vous fera connaître les
siennes un de ces jours prochains. Le projet de
texte qu’il vous soumettra formera une base de
travail qu’il espère utile et féconde.
Pour
aujourd’hui, je me borne à vous souhaiter la
bienvenue, au nom de mon Gouvernement, et à former
des vœux ardents pour que ne soit pas déçue
l’attente des peuples qui placent en vous leur
espoir et leur confiance.
Schuman Project www.schuman.info
Brussels, info@schuman.info
Tel +322 230 9803
(c)Bron
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